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#11
Hiver 2023
 édito   BOUILLONS DE CULTURE
Sommet du col d'Aubisque, altitude : 1 709 mètres. Je domine le monde, ou plutôt la vallée d'Ossau avec une vue imprenable sur la chaîne des Pyrénées. Je suis fier comme Artaban d'avoir grimpé à la force de mes seuls mollets ce col hors-catégorie : 16,5 kilomètres à 7,1 % de dénivelé en moyenne. J'ai la pédale joyeuse avec mon beau paletot jaune sur le dos. Je peux foncer vers le col du Soulor (1 474 mètres) et ainsi basculer vers la vallée voisine en direction d'Argelès-Gazost, une station thermale où mes grands-parents venaient jadis séjourner chaque été. J'aime ces virées vélocipédiques sur les routes de mon enfance et du tour de France. Elles sont mes madeleines de Proust, celles qui à l'orée des « Cinquantièmes hurlants », me comblent et me rassurent. Le vélo a des vertus assurément tout autant tonifiantes qu'apaisantes.

Plus bousculé sera mon automne passé dans un brouillard numérique suite au piratage de mon compte Facebook. « De toute façon, ce réseau social est en perte complète de vitesse », me susurraient les uns. « Facebook, c'est que pour les vieux ! » se moquait ma fille Joséphine, bientôt 15 ans. Une chose est certaine, tous mes interlocuteurs étaient les derniers à renoncer à l'usage de ces réseaux si vilipendés mais si fréquentés au quotidien. Contraint et forcé à cette cure sans notifications, je m'y suis habitué. Seule contrariété de taille, celle d'être dans l'incapacité d'exercer mes droits pour récupérer l'usage de mon compte piraté et suspendu. Revers heureux de la médaille, celui de pouvoir se concentrer sur l'essentiel : le présent, le réel, le vivant et les gens.

Cela tombait bien car j'étais invité à plusieurs festivals de voyage et d'aventure. De Montpellier à Lorient, via Dijon, Nantes, La Rochelle ou encore Toulouse, j'ai ainsi multiplié les conférences et les animations. J'ai parfois dû faire le grand écart comme lors de cette conférence aux Écrans de l'Aventure à Dijon afin que mes trois invités puissent parler sciences, glaces, algues et course à la voile. Plus spontané fut mon entretien avec Tendi Sherpa, guide de haute montagne népalais. Nous avons parlé pêle-mêle d'Everest, d'ascensions, de performances, d'éthique et même de spiritualité. Mêmes bouillons de culture au Festival international du film et du livre d'aventure de La Rochelle. Au fil de plus d'une quinzaine de débats littéraires, j'ai interrogé ceux qui nous racontent avec des mots ou des dessins l'aventure. Les débats ont été passionnants et nourrissants. Dommage néanmoins que les festivaliers préfèrent encore le cinéma d'aventure (avec une salle de 800 places à guichets fermés) aux rencontres littéraires (80 spectateurs au mieux). Un déséquilibre encore plus frappant aux Rencontres Ciné Montagne à Grenoble. Dans le palais des sports se pressaient en effet chaque soir 1 500 spectateurs pour assister à des projections de films de montagne, mais ils n'étaient qu'une vingtaine à tout casser pour assister à une table-ronde autour de l'exploration. Les mots (sans images) sont pourtant puissants. La preuve dans la cité des ducs de Bretagne…

Je ne suis ni juge, ni flic, ni avocat, ni curé, ni psychiatre, et encore moins « coach » de vie mais j'ai pris une GROSSE claque ! Ce jeudi pluvieux de novembre, je suis sorti de ma zone de confort en donnant deux conférences à destination de publics dits « empêchés ». Le matin, j'étais à 8h30 pétantes à la maison d'arrêt de Nantes et en fin d'après-midi au centre pénitentiaire. Deux événements « hors les murs » du festival Nature Nomade organisés avec la complicité de la ligue de l'enseignement des Pays de la Loire. J'ai parlé au total à une cinquantaine de détenus de mon livre L'Échappée. Un titre un brin ironique, non ? Pas tant que cela finalement. Je me suis livré sans apriori, sans retenue ni arrière-pensée, mais avec détermination, clairvoyance et même fougue. L'univers carcéral est un monde résolument à part. Le matin, dans la maison d'arrêt surpeuplée (815 détenus en attente de jugement, un taux d'occupation de 153 %), la violence est d'abord verbale. Elle s'entend partout, elle se décèle également dans les regards. « Taisez-vous, c'est bien ce que dit le cousin ! ». Le caïd a parlé, les autres m'ont écouté. La partie était gagnée. L'après-midi, le climat était plus apaisé au centre de détention devant cette fois 25 hommes, condamnés à de lourdes peines, de retour de leur journée de travail. L'assistance m'écoutait sans broncher jusqu'à l'interrogation d'un détenu assis au premier rang : « Monsieur, je n'aurais qu'une seule question à vous poser : à quoi sert l'exploration aujourd'hui ? Est-elle toujours utile ? Merci de nous répondre en argumentant. Nous avons tout notre temps… ». Trop heureux devant tant de malice, j'ai répondu avec faconde en insistant sur mon vécu tout-terrain. J'ai aimé à mettre en lumière cette maxime qui m'est chère : « Seul celui qui a emprunté la route connaît la profondeur des trous ». Puissent ces prochains mois nous donner à voir autrement le monde, à écouter plus attentivement le vivant et à dialoguer (avec davantage de nuances) avec autrui, tout en continuant d'arpenter les ici et les ailleurs. Car, pour paraphraser un auteur-compositeur des plus prolifiques de la scène française : « Y'a que les routes qui sont belles, et peu importe où elles nous mènent, oh belle… ». Oh oui, belle et heureuse année 2024, donc !

Stéphane Dugast


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