mentions légales politique de confidentialité

copyright © 2021 Embarquements
 La France réenchantée
Une traversée à vélo de notre pays en maillot jaune accomplie en été 2020. Une odyssée longue de 2 200 kilomètres réalisée en 40 jours et 35 étapes. Une belle échappée, la preuve…

Il a surgi là, soudainement, juste devant ma roue avant. J'ai même cru qu'il allait finir par s'engouffrer dans mes rayons, alors j'ai ralenti sans trop freiner. Lui a continué, insouciant, de virevolter autour de moi, comme s'il se plaisait à dessiner d'élégantes et imaginaires arabesques. Nous avons ensuite fait un bout de chemin ensemble. J'ai ainsi pu le contempler de plus près. Il était si beau dans sa robe blanche étincelante. Je n'avais qu'une envie : le toucher et le garder avec moi. C'était complètement idiot, je le savais. Un pincement au cœur, je l'ai laissé s'éloigner. Lui a continué sa course imprévisible et ses pirouettes avant de bientôt se poser sur une fleur puis sur une brindille d'herbe. Lui, c'est un majestueux insecte, aussi léger que gracieux. Et dire que l'usage massif de pesticides dans nos campagnes (et même dans nos villes), la destruction de zones humides ou encore l'arrachage des haies dû à ce foutu remembrement, ont failli avoir sa peau, et celle de ses congénères, tout aussi essentiels que l'abeille en matière de pollinisation. J'en étais même venu à me faire une raison : bientôt les lépidoptères diurnes ou nocturnes ne voleraient plus que dans les livres ou dans mon imaginaire. Lui, c'est le premier papillon de jour que j'ai croisé sur ma route buissonnière. Tout cela s'est passé un jour de juillet, sur une route communale quelque part dans la Haute-Marne, après la localité de Goncourt. Le soleil était souriant et réparateur. Le ciel, d'un bleu profond et pur. La brise, douce et soyeuse. Les herbes folles et ondulantes. Anodine en apparence, cette rencontre m'a ému au point de m'inciter à considérer que « La France réenchantée » me chantait enfin sa ritournelle. Tout cela grâce à un minuscule papillon blanc. Ce matin-là, ma route n'avait pourtant guère été bucolique, elle avait bien longé la Meuse mais alors, de très loin. Les forêts annoncées sur mon topoguide étaient de visu lilliputiennes. Sur mon chemin, j'avais pu heureusement compter sur un invité-pédaleur surprise. En roulant, j'avais fait la connaissance de Bernard, cyclotouriste averti de 67 ans. Lui roulait tous les deux jours, été comme hiver. D'ailleurs, sur son vélo de course tout carbone, son coup de pédale était alerte, ses mollets affûtés : « Normal, je reviens d'une semaine en Savoie, où j'étais chez ma fille. Là-bas, j'ai grimpé tous les cols possibles ». Je n'ai pas osé avouer à Bernard que je n'avais finalement roulé que 100 bornes cette année, et surtout sur le home-trainer de mon balcon parisien avant de me lancer dans ma folle traversée.

J'aime la « petite reine » pour ses héros d'antan et les tours de France couleur et sépia. Les folles épopées des Bobet, Robic, Coppi, Anquetil et consorts me fascinent. Ce goût, autant de l'histoire que de l'anecdote, m'a incontestablement motivé à monter une entreprise vélocipédique ambitieuse. Il y avait également cette curiosité à découvrir la géographie de mon pays, moi l'arpenteur des ailleurs depuis l'an 2000. Tout logiquement, je me suis donc lancé un défi, celui de traverser à vélo la France depuis Dunkerque jusqu'à Hendaye, depuis les Flandres jusqu'au Pays Basque, via des contrées que les géographes ont cliniquement baptisé la « Diagonale du vide ». Après deux mois d'un printemps confiné dans un appartement à Paris, le besoin de tailler la route était même impérieux. D'ordinaire, je voyage pour écrire ou filmer les explorations des autres. Cette fois, j'allais fabriquer et vivre ma propre aventure. Pour autant, je ne voulais ni réaliser une performance, ni battre un record. J'aspirais tout simplement à respirer à pleins poumons, à voir, à contempler, à admirer, à écouter et in fine à humer la nature bien entendu, mais aussi à faire des rencontres au débotté, comme celle de ce jour-là avec Bernard-le-cycliste-sexagénaire-très-bavard : « Tu sais, en te voyant chargé comme un bourricot, ça m'a rappelé le Verdun-Saint-Jacques de Compostelle que j'ai fait à vélo avec des copains. C'était un peu barjot, non ? ». J'allais lui répondre mais Bernard devait me quitter. Il avait sa route à tracer, et moi la mienne.

Revigoré par cette rencontre et le retour du soleil, j'ai ensuite avalé sans ciller les 50 kilomètres restants d'autant que je comptais établir mon bivouac de bonne heure afin de faire sécher ma tente. Car le matin même, il avait plu. Mes affaires étaient trempées. Heureusement, c'était l'été et le soleil était généreux…

Stéphane Dugast


Philosophie


Créateurs


Actualités